La pluie était battante. Les nuages, sombrement amoncelés. Et le vent… Le vent… Si froid. Livré à ce sinistre matin d’automne, je me languissais d’un parapluie oublié alors que les gouttes s’abattaient, nombreuses et conquérantes, sur ma convocation rapidement imprimée. Aux limites de l’arrageoise cité, en cette triste rue Diderot par les vents balayée, je me tenais là, malade, fatigué, et ivre de pensées ô combien PHP. Je n’aurais su les compter, mais je craignais pourtant d’en avoir oubliées, restées tendrement assoupies au creux de mon oreiller.

« Dependency injection, form validation, authentication, standardisation or some naming conventions?
Object oriented programming, routing, testing, templating or another request handling?
Libraries and services, interfaces and namespaces, reverse proxies and maybe some other best practices… »

Possédé, la conscience un peu sourde à tous les appels de la réalité, je n’avais pas encore pris la mesure de la scène que je m’apprêtais à jouer. Aucun stress, aucune appréhension en ce cerveau torturé : pas même de la lucidité. J’étais bien trop occupé à repousser les avances incessantes d’une bronchite repoussante et trop hâtive de m’emporter. Et lorsque mes pensées s’en libéraient, elles s’en retournaient inexorablement à la digestion de toutes ces pages anglaises de documentations Symfony et PHP. En dehors de ces deux batailles, tout en en moi n’était plus qu’habitudes aveugles et vagues automatismes. Si vagues, parfois…

Mais l’heure avait sonné.

Et il ne s’agissait plus de reculer. Alors, armé d’un masque social, de quelques sourires et de mouchoirs à n’en plus finir, je fis face à la grande et triste bâtisse qui se dressait devant moi.

Et j’y pénétrai.

Le hall d’entrée. Personne. Étais-je le premier ? Moi ? Je n’osais en rêver ! La ponctualité me boudait depuis vingt-huit années : arriver en avance n’était plus alors qu’un fantasme, au mieux une aberrante possibilité. La jolie réceptionniste me sourit et m’invita à patienter. Je me cantonnais à quelques questions de circonstance, bien conscient que le seul numéro que pouvaient obtenir un nez coulant et une toux tapageuse serait celui d’un médecin réputé. Et puis vint cet homme, amical et chaleureux : l’examinateur. Il me proposa alors de m’installer dans une petite salle jalonnée de PC, semblable à un vieux souvenir des salles informatique de l’université. Il m’informa rapidement qu’en cette arène, je serai le seul gladiateur — ce qui m’arrangeait assez, ne serait-ce que pour, de ma gloire ou de mon humiliation, ne rien avoir à partager. Quelques règles, quelques signatures, un siège, un clavier et un écran allumé. La partie venait de commencer.

« SensioLabs Symfony Certification »

Sans plus attendre, les questions filèrent et défilèrent. Entre simplicités factices et complexités si peu propices, le stress commença à monter. Je déglutis. Je passe un examen. L’idée me frappa enfin. Ainsi, une dizaine de questions aura été nécessaire pour pleinement le réaliser. Mais la machine du destin était lancée : de l’Expert ou du Confirmé, lequel de ces titres serai-je le plus à même de remporter ? Rien n’était gagné, tout restait à jouer : quatre-vingt dix minutes, soixante-quinze questions, seize thématiques et tant de doutes en cet instant critique. Quelques certitudes aussi, rassurantes, comme des phares en cette tempête de connaissances déchaînées.

Sans réellement m’en rendre compte, le temps s’écoula et l’examen se déroula. Finalement concentré et libéré, je ne comptais plus les cases que je cochais ou décochais, les réponses assurées et toutes ses vestes retournées. Et puis, seconde après seconde, question après question, le grand final se dessina et le dernier écran s’afficha.

End the exam. Je me souviens de ce bouton, je me souviens de cette tension : cliquer, ou temporiser ? Relire, ou en finir ? Empêtré dans les tourments d’une lâche indécision, le temps décida pour moi : il n’y avait plus de minutes à consommer, juste quelques secondes qui se décomptaient.

J’appuyai.

Plus de temps. Plus de question. Plus… rien. L’écran était blanc, presque immaculé. Une partie de moi tenta de se convaincre de n’y déchiffrer aucun augure, bon ou mauvais, aucun présage qui me serait destiné. Quelques secondes s’écoulèrent alors dans un silence tourmenté : J’ai réussi… J’ai forcément réussi… Au moins le niveau Confirmé. Mais l’Expert ? Et si mes doutes étaient fondés ? Et toutes ces questions torturées ? Avait-ce été dangereusement facile ? Ou sereinement difficile ? Pour cette toute première certification, méritais-je vraiment le baiser de la Gloire, ou plutôt l’étreinte de l’Humiliation ? Et…

Un bruit attira mon attention, juste à côté de moi.

Je me tournai alors soudainement dans la direction du son et découvrit l’imprimante qui venait de s’allumer. La grosse machine grise… Elle imprimait. À son sommet, je vis une feuille blanche sortir lentement, comme se délectant de la tension de l’instant présent. Je déglutis. C’était elle qui portait mon jugement, elle qui déciderait de la tournure des évènements. Je voulais tendre la main, la toucher, l’attraper : mais au moindre geste suspect, je risquais d’être disqualifié !

Derrière moi, l’examinateur se leva et approcha avec une nonchalance qui ne m’était pas permise. Au mépris de la tension, de la solennité de l’instant, il se saisit alors de la feuille et la parcourra des yeux en marmonnant gaiement. S’imaginait-il seulement que derrière mon calme fièrement affiché, tempêtait une impatience dévorante et embrasée ?

« Eh bien… Félicitations ! Vous avez réussi ! »

« … as an Expert Symfony2 Developer. »

Je ne le réalisai pas tout de suite, mais ma respiration reprit. Le sang se mit à circuler de nouveau. Un frisson nerveux me traversa l’échine, puis un sourire presque machiavélique me tira les joues. Je me revêtis de mon manteau, ainsi que d’une modestie polie, puis je sortis.

La pluie était battante. Les nuages, sombrement amoncelés. C’était toujours ce même matin d’automne. Et pourtant, dans le vent, quelque chose venait de changer…

Gaëtan